Voilà maintenant prés de 7 mois que la mobilisation dans le Rif
dure. Déclenchée en réaction à l’assassinat de Mohcine Fikri, un vendeur
de poisson écrasé dans une benne à ordure, le mouvement s’est doté d’
une plateforme revendicative dans le cadre d’un processus d’assemblées
populaires.
Celle-ci fait ressortir des demandes
élémentaires : la construction d’universités, d’hôpitaux, de centres de
formation, l’accès aux services de base, la lutte contre le chômage et
les expropriations de terre, ainsi que la levée du décret de
militarisation établi dans les années 1950, la fin de la corruption, la
libération des prisonniers du mouvement, la condamnation des vrais
responsables de la mort de Fikri. Les comités locaux du mouvement
populaire structurent à la base la mobilisation qui a essaimé, y compris
dans les plus petites localités.
Le pouvoir a cherché à
invisibiliser la lutte, comptant sur un épuisement. Mais en se dotant de
structures d’auto-organisation, en contournant les médiations
traditionnelles discréditées (partis, syndicats, société civile, élus),
le mouvement était en phase directe avec les aspirations populaires.
Aucune institution, aucun relais du pouvoir, aucune « opposition » n’est
en mesure de canaliser la lutte, avec en toile de fond, une crise
profonde de la façade démocratique. Cinq ans après 2011, le régime n’a
jamais été aussi autoritaire, corrompu et dans l’incapacité de vendre
l’illusion d’un semblant d’auto-réforme. Le rejet massif des
institutions se traduit aussi bien dans les urnes que dans les
mobilisations qui n’ont cessé de s’étendre sur tous les terrains et dans
tous les recoins du pays. Le Rif présente par ailleurs une spécificité
historique, longtemps ostracisé par le pouvoir, il a une longue histoire
de résistance : de la fondation de la République du Rif avec Abdekrim
el Khattabi, au soulèvement au lendemain de l’indépendance contre le
pouvoir central, au cœur des révoltes contre les politiques d’ajustement
structurel, particulièrement mobilisé durant le M20 Février. Ce n’est
pas un hasard si l’emblème de la contestation est celui de la République
du Rif et le drapeau amazigh.
Escalade répressive
Devant
la persistance de la mobilisation, le pouvoir a cherché à la présenter
comme répondant à un agenda étranger séditieux mené par des
« séparatistes », et n’a cessé de déployer ses forces répressives et
« balatgias ». La journée du 18 mai a été emblématique : malgré un
dispositif militaire impressionnant et des barrages systématiques, des
milliers de personnes les ont forcés et rejoint al Hoceima, acculant le
pouvoir à assister à une manifestation de masse sans précédent doublée
d’une grève générale.
Le mouvement populaire a posé des exigences
très claires : ce ne sont pas les institutions élues corrompues et les
ONG bidons mais les représentants du mouvement qui doivent être à la
table des négociations, et celle-ci ont pour préalable la libération des
détenus, la levée de la militarisation, et pour seul objectif la
satisfaction des revendications assorties de garanties. Le mouvement ne
s’arrêtera pas tant que la population n’aura pas obtenu satisfaction.
L’escalade
répressive est en cours : plusieurs dizaines d’arrestations dont les
animateurs du mouvement et ses porte-parole ont eu lieu, et la liste
s’allonge... Depuis plusieurs nuits des heurts ont lieu. La
radicalisation politique est explicite à travers des mots d’ordre qui
visent la fin du makhzen ou la transformation du fameux « Dieu, la patrie, le roi » en « Dieu, la patrie, le peuple ».
Un
affrontement majeur se dessine, massif et radical, et dans de
nombreuses autres villes, la contestation s’étend malgré la violence de
l’État. Les prochaines semaines seront déterminantes pour la relance du
processus révolutionnaire et l’affrontement avec la monarchie. La
solidarité internationale pour la satisfaction des revendications du
peuple du Rif, le soutien à toutes les mobilisations sociales et
démocratiques et l’arrêt de la répression est urgente.
Chawqui Lotfi (militant de Tahadi / Émancipation démocratique)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour nous contacter ou laisser un commentaire !